Par madame Marie-Laure Chaieb

L’abbé Couturier, à l’origine de cette paroisse a eu une belle intuition la placer sous le patronage de Saint Irénée. Et c’est aussi une excellente idée de fêter ce patronage pour la rentrée de la paroisse. En tant que « pièce rapportée » de l’église d’à côté ce matin, et lectrice d’Irénée depuis bien des années, je suis heureuse de partager avec vous pourquoi la figure d’Irénée est, à mes yeux, féconde pour une rentrée, et capable de fixer un objectif nourrissant pour une année pastorale.

Irénée , un guide œcuménique

Tout d’abord vous savez que le pape François a déclaré Irénée Docteur de l’Eglise. C’était le 21 janvier 2022. La date n’est pas choisie au hasard : le pape a voulu explicitement situer cette déclaration au cœur de la semaine de prière pour l’unité de chrétiens fondée par l’abbé Couturier. Depuis quelques temps déjà il avait annoncé son intention et notamment en octobre 2021 en sortant d’une réunion œcuménique rassemblant des catholiques et des orthodoxes. C’est donc une volonté forte du pape François de voir en Irénée un repère œcuménique, un repère commun aux Eglises catholiques, orthodoxes et protestantes. Nous seulement, parce qu’Irénée est un trésor commun pour toutes ces Eglises, qui précède les divisions ; mais aussi parce qu’Irénée a fait lui-même le pont entre Orient et Occident.

Irénée vient de Smyrne ( en Turquie actuelle) où il était disciple de Polycarpe, un disciple de l’apôtre Jean. Puis il a voyagé vers l’Occident en faisant sans doute une escale à Rome, pour arriver ici à Lyon où il a succédé à l’évêque Pothin décédé lors de la persécution des chrétiens de Lyon en 177. Toutes nos Eglises reconnaissent en lui un témoin et un défenseur de la foi, qui a su affermir les fidèles dans la foi dans une période troublée par des persécutions extérieures (provenant des autorités civiles) mais aussi des déviances intérieures (provenant des mouvements gnostiques). Nous aussi nous vivons une période troublée à l’extérieur et à l’intérieur de l’Eglise. La figure de St Irénée peut continuer à jouer ce rôle réconfortant de témoignage fort sur les fondements de la foi qui rassemble, alors que tout semble vouloir éclater.

L’œcuménisme n’est pas un objectif en soi mais une façon de considérer la foi comme un dialogue. Il est beau de placer une nouvelle année pastorale sous ce double regard bienveillant de l’abbé Couturier et de St Irénée comme des guides pour penser la foi en dialogue avec notre monde.

 

Irénée , « docteur de l’unité »

Après cette dimension œcuménique c’est le titre de « Docteur de l’unité » que le pape François a voulu donner à Irénée qu’il faut un peu déployer. Car l’unité est vraiment un thème transversal de toute l’œuvre d’Irénée, mais pourrait être mal comprise. En période de crise, il est compréhensible de chercher à se mettre à l’abri entre soi, d’affermir ses convictions en se rassemblant pour avoir davantage de poids, mais alors, on n’évite pas toujours le risque de s’enfermer dans des certitudes confondues avec la foi , et de réagir en se durcissant.

Dans la période difficile qui était la sienne, Irénée a su démasquer les erreurs et les tromperies des groupes déviants mais sa méthode est éclairante : chargé de veiller sur la communauté (selon l’étymologie de « episcopos = évêque »), il a sans cesse cherché à approfondir la foi des fidèles, à les former, à les éclairer pour discerner par eux-mêmes le bon grain et l’ivraie. D’ailleurs il ne se présente jamais lui-même comme un maître, mais comme un disciple qui découvre avec toujours plus d’émerveillement la cohérence de la foi et l’amour de Dieu. Finalement, c’est parce qu’il a su rester disciple qu’il est considéré aujourd’hui comme un maître. On le considère même comme le premier grand théologien de l’antiquité. Il a illustré avec bonheur le grain tombé dans la bonne terre de l’évangile de Luc : « il a entendu la parole avec un cœur noble et généreux, il l’a retenue et a porté du fruit ». Même s’il est plongé dans la polémique, Irénée reste tout tourné vers le Christ et la contemplation du projet de Dieu qui se déploie dans l’histoire. C’est cette unité (unification) qu’il oppose à la déviance, et non pas l’uniformité de réponses mécaniques.

On pourrait évoquer de très nombreux exemples de cette façon dont il conçoit l’unité. J’en retiendrai seulement trois :

  • L’unité des Ecritures. Car à son époque certains voulaient opposer l’Ancien et le Nouveau Testament pour ne garder que la Parole du Christ , comme le fin mot de la Révélation. Irénée est d’accord, bien sûr, avec l’idée que le Christ porte la révélation à son sommet. Mais cela n’implique pas pour autant de rejeter tout l’Ancien Testament, qui annonçait justement  cette venue du Fils.
  • L’unité des Eglises aussi, même si elles ont des usages différents. Car à cette époque les Eglises d’Asie mineure ne célébraient pas Pâques au même moment que les Eglises occidentales car elles s’appuyaient sur la chronologie johannique (en même temps que la Pâque juive). Alors que le pape Victor voulait imposer la célébration de Pâques le dimanche qui suit la Pâque juive, Irénée intervient pour lui signifier qu’on ne peut opposer deux traditions lorsqu’elles viennent toutes deux des apôtres. Il a ainsi participé à éviter un schisme. Cet épisode a été l’occasion de souligner à quel point il est un « homme de paix » (conformément à l’étymologie de son nom).
  • L’unité de l’homme enfin. Car à son époque (comme à la nôtre d’ailleurs) certains cherchaient à opposer le corps et l’âme, la chair et l’esprit, le matériel et le spirituel. Irénée leur répond que l’homme est une créature de Dieu ; son corps n’est donc pas un piège. Mais Dieu donne à l’homme son Esprit pour croître spirituellement, comme il grandit physiquement.

Tous ces exemples mériteraient d’être approfondis mais on peut s’arrêter sur ce qui ressort de la méthode d’Irénée : pour lui l’unité n’est pas la sécurité d’une réponse binaire ; l’unité c’est mettre en perspective tout ce qui peut faire vivre et grandir l’homme. Pourquoi privilégier l’âme sur le corps quand on peut aller à Dieu avec les deux ? pourquoi rejeter l’Ancien Testament au profit du nouveau quand les deux parlent de l’Alliance avec Dieu ? … Comme modèle d’unité, Irénée privilégie la relation : la relation du Père, du Fils et de l’Esprit. Ou encore le fait que nous avons besoin des quatre évangiles (de Matthieu , Marc, Luc et Jean) ni plus, ni moins, pour que souffle pleinement l’Esprit de l’Evangile…

Irénée nous enseigne ainsi que c’est souvent la façon dont nous posons les questions qui pose problème : les questions en « ou bien / ou bien » sont souvent des pièges ; Irénée enseigne à les reformuler à la lumière de la recherche sincère de l’Esprit de vérité. Ce faisant, il nous aide réfléchir à ce que nous souhaitons vraiment lorsque nous prions pour l’unité.

 

Irénée , saint patron synodal

Irénée est enfin un bon guide pour une nouvelle année paroissiale, spécialement cette année dans le cadre de la réflexion actuelle sur la synodalité.

Car il donne à plusieurs reprises une belle définition de l’Eglise dans son œuvre : il l’appelle, en grec,  la « synodia des frères » ou la « synodia des apôtres » . Et l’une des meilleures traductions qui a été donnée à ce terme, c’est la « caravane » que l’on forme pour voyager ensemble, pour faire route ensemble. L’image de l’Eglise pérégrine envisage de voyager ensemble aussi bien à travers l’inconnu que les beaux paysages, partage aussi bien les bons que les mauvais moments de la route, s’adjoint au fil du chemin tous ceux qui veulent marcher avec elle. C’est une magnifique image qui en dit long sur la mission de l’Eglise selon Irénée : non pas un caravansérail fortifié, mais la caravane des frères qui chemine à la suite des apôtres sous la direction du Bon Berger. A méditer !

Voici qui me persuade que c’est une chance d’avoir Irénée pour Saint Patron et de placer une nouvelle année sous sa protection. Le monde a besoin de guides comme lui ; à nous de devenir, à notre mesure, de fidèles disciples à son image.

Bonne fête et bonne année avec St Irénée.

 

 

Du même auteur, pour ceux qui  aimeraient être guidés dans la découverte de Saint Irénée : « Tu seras l’ouvrage parfait de Dieu » paru en septembre 2023 chez Salvator.